Cher Toi,
Tu m'as rencontré à un moment très spécial de ma vie. Je me souviens des premières fois où je t'ai croisé. La salle informatique du foyer avait tout de suite plus de goût. J'étais bien vivante à cette période. A l'aube de ma vie d'adulte. Encore insouciante, encore indécise sur des détails, encore amoureuse. Tu es resté un plaisir des yeux, et même lorsqu'elle a tenté de faire l'entremetteuse, même lorsque j'ai pris mon courage à deux mains et que j'ai frappé à ta porte, il ne s'est rien passé. La seule chose que nous avions partagé était un bout de chemin vers nos lieux d'études. J'étais en retard, ce matin-là
Mais tu m'as souri, et j'étais foutue.
Je ne sais pas pourquoi, après des mois sans rien, j'ai eu une soudaine envie, sur un coup de tête, de te revoir. Je suis retombé sur toi dans mes souvenirs, puis sur l'écran et sans y avoir cru, en l'espace de deux mois, je me suis retrouvé à ce café. Tu m'avais fait attendre, et j'étais fâchée.
Mais tu m'as souri, et j'étais foutue.
En marchant sous la pluie à côté d'un inconnu, je me suis rappelé que les bonnes surprises existaient. Tu m'as intrigué. On s'est revus et je garde en mémoire ton regard posé sur moi dans la salle de visionnage, à l'expo Muniz. J'ai toujours eu bonne mémoire, même si elle est altérée depuis quelques temps.
Comme tu m'as vu il y a un an, j'étais tout juste guérie d'une bête maladie physique. Et puis à Cannes, tu m'as vu alors que j'étais à la fois ivre d'alcool et de douleurs mentales. A ce moment-là, je n'aspirais qu'au présent, qu'à danser et me coller contre ta peau sans expliquer ce qui se tramait dans mon quotidien. Le lendemain, tu m'as regardé et là, même après l'ivresse, même avec les douleurs, je me suis sentie bien accompagnée, bien tout court.
Car tu m'as souri. Et j'étais foutue.
Là encore, en l'espace de deux mois, tout a basculé. Tu es parti comme tu es venu, brut, farouche, et j'étais amère, j'étais en manque d'une suite interrompue par le hasard.
J'étais foutue.
Alors j'ai essayé d'oublier ton sourire, ta chaleur, l'envie de toi, l'envie de te connaître, cette envie qui me dévorait depuis que j'avais goûté à ce sourire. Maudit soit-il. Je me suis détachée de cette savoureuse parenthèse et j'ai construit autre chose.
J'ai vécu dans le concret jusqu'à ce que tu me réveilles à nouveau. Tu es revenu dans un coin de ma tête, parfois même tu accompagnais mes pertes de conscience, mes lubies, mes envolées lyriques. Tu m'as dit de t'attendre. Oui, tu l'as dit, même sans le vouloir. Et j'ai su que je t'attendrais. J'ai su que je reprendrais ce bout de prologue, ces trois petits points maladroits, ce conte pour enfants pas sages. Tu as posé pied à terre, j'étais déjà noyée. Non, nous n'aurons pas de timing idéal. La beauté de la chose, c'est le fait qu'elle soit si bancale. Et comme tu l'as dit, sa magie, c'est son caractère éphémère et saccadé.
Tu m'as souri, j'étais foutue.
Peut-être qu'il y a deux ans, lorsque je me croyais invincible, peut-être dans cinq ans, lorsque je serai invincible, notre histoire aurait un sens. Notre histoire aurait pu s'appeler histoire vraie. Mais c'est une fiction, un rêve, des effluves, une transparence, une plume qui glisse, une poussière dans l'œil. Quand tu me tiens par la main, je ressens toute l'absurdité d'un "nous" qui n'a pas sa place. Parce que c'est le présent, parce que ce n'est pas le nôtre. Parce que ce sourire-là, que tu répètes à mes yeux embrumés, il me transporte sans jamais me combler. Je suis mordue, et je te mords encore plus fort pour te faire payer d'être venu à ma rencontre. J'aurais préféré ne pas avoir à penser à toi, à décider que ça ne mènerait nulle part. J'aurais voulu me contenter de notre cocon, de ces instants qui seraient presque irréels si d'autres n'en avaient pas été témoins.
Je dois te le dire : tu es cher à mon cœur. Je ne te connais pas et je ne te connaîtrai jamais. J'espère que tu laisseras une main s'approprier la tienne pour deux, cinq, cent jours. J'espère qu'une autre saura se laisser t'aimer et te le dire sans risquer de se briser. J'espère qu'elle n'aura pas besoin de t'écrire une lettre. Tu l'auras, ton exploratrice. Elle aimera les crêperies, les moustaches, les canards, les jeux d'enfants, les dessins sur les torses, les concerts, les mots en l'air, Hitch, les blagues salaces, le silence, ton sourire.
Je suis heureuse d'avoir voyagé un peu avec toi.